Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Philosophie d'Alan Watts
28 septembre 2015

Devoir de Vacances 10 (et dernier)

(Théodore Roszak 2)

A partir de Roszak, je suis parvenu de fil en aiguille à relire Un bonheur insoutenable, d'Ira Irving. Ce roman, d'un avis qui semble général, ne vaut pas au plan littéraire Orwell (1984 et son Big Brother), ni Aldous Huxley (Le Meilleur des Mondes), mais en constitue comme l'aboutissement logique au niveau d'une Science-Fiction « sociétale ». Voici une quarantaine d'années, je lisais beaucoup de S-F, deux ou trois par semaine. Je rêvais d'une humanité qui unirait un cerveau de moine et yogi tibétains à un appui technologique selon les lois de la robotiques (Isaac Asimov).

Théodore Roszak m'y a renvoyé, mais une anecdote m'est revenu en mémoire, (In my own way, p 156), au sujet l'évitement de toute doctrine dans les propos que tient Krisnamurti, Aldous Huxley disant de celui-ci que « Personne ne lui rappelle autant le Bouddha que Krishnamurti » à quoi Jano (la troisième et dernière épouse d'Alan Watts) lui rétorqua

« Pourquoi, vous l'avez connu ?

Non, mais que dire1 d'autre ? »

De cet échange, Alan Watts commente qu'il est moins puriste, et considère que les doctrines (le dire), etc. sont des outils à utiliser (une Connaissance à pratiquer) mais que qu'ils n'obligent pas à en devenir des fidèles (adopter un système de croyance presque exclusivement verbal).

Le titre original du roman d'Irving est This perfect Day, qui signifie implicitement que le But de l'Histoire humaine est atteint et qu'il n'y a donc plus rien à espérer de l'à venir, ni à modifier, mais seulement à se féliciter du jour présent et à se congratuler mutuellement de l'immense chance que nous avons de le vivre. Cette satisfaction du présent peut faire penser à quelque chose de l'ordre d'un accent ou d'une teinture bouddhiste2. Cette ressemblance est trompeuse : la voie spirituelle ne vise pas à changer le monde, ni même soi-même en tant qu'agent social et politique dans le monde, mais la manière d'être au monde tel qu'il est et va, ET dont « je » fais intrinsèquement partie. Il faut bien voir que cette partie de soi qui veut changer mais qui est précisément celle qu'il faudrait changer, que brocarde parfois Alan Watts, est cette part de nous-même qui ne s'acceptant pas dans ses échecs et ses insuffisances, qui aimerait, grâce à la spiritualité devenir un type tellement nec plus ultra qu'il lui suffirait de s'asseoir en lotus à n'importe quel coin de rue pour que les passants s'assemblent alentour et se prosternent. Toute volonté de perfection (psychologique) est nuisible. Mais, largement véhiculée par la publicité, etc. et……. les utopies sociales3.

On notera au passage que toutes les utopies et dystopies sont post-médiévales et exclusivement occidentales4.

&

Disons que ce bonheur est insoutenable, car tout bonheur humain est inséparable de la liberté et de la créativité.

Et aussi, que le plus insupportable de cette Ordi (nateur central et unifié) Dictateur est sa prétention de qualifier, caractériser, modifier éventuellement, la nature personnelle (psychologique) de chacun des membres de la société en fonction des besoins de fonctionnement. Jadis, on commentait l'adage « la fin justifie les moyens ». Dans le roman d'Irvin, comme la technocratie dénoncée par Roszak et Watts, les moyens se justifient par leur efficacité, sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur leurs besoins, leur utilité pour le développement humain, etc. bref sans questionnement du sens et des fins de cette utilité.

 

 

 

 

 

 

 

1C'est moi qui souligne ; effectivement la Voie n'est pas dans le langage, ni dans la direction qu'il peut indiquer.

2Le fait est qu'il existe un « bouddhisme social et politique » qui, lui, en écho, possède des tonalités utopiques. C'est oublier que toute volonté de transformation sociale implique l'absolue nécessité d'admettre la possibilité de l'usage de la violence.

3La Paix monastique peut fournir un certain modèle de structures sociales et économiques, dont la société civile ferait bien selon moi de s'inspirer, mais fondamentalement elle une évocation/invocation/cérémonie de Retour à l'état adamique et/ou une préfiguration du paradis céleste dans le cœur de chacun.

4Les historiens peuvent signaler divers mouvements quasi messianiques en Orient, donc peu ou prou « utopiques », tout au long des 5000 dernières années. Sauf erreur, tous se sont terminés dans un bain de sang ! Au fond, à des degrés divers, tout prosélytisme est virtuellement porteur de violence.   

Publicité
Publicité
12 septembre 2015

Devoir de Vacances 09

(Théodore Roszak)

Théodore Roszak (1933-2011), romancier et sociologue, a été professeur émérite d'Histoire à la célèbre Université de Berkeley, San Francisco, où il a vécu la majeure partie de sa vie. Il a passé plusieurs années à Londres comme Rédacteur en chef des Nouvelles de la Paix (Peace News), qui pourrait – quant à son esprit – se traduire aussi bien pas « Informations sur la Paix » ou « Les actualités de la Paix ». (J'ai toujours été étonné de constater qu'à lire les journaux, on pourrait croire que notre planète vit dans un immense bain de sang, dont ne sortent indemnes que les magouilleurs économico-bancaires. Pour ma part, j'aimerais lire des nouvelles du style le Colonel X et le Colonel Y sont parvenus à un cessez-le-feu local provisoire permettant à leurs régiments de se repositionner en évitant de se massacrer mutuellement.)

Mais, à Seigneur tout honneur, je voudrais rapporter ici ce qu'il dit d'Alan Watts, dans l'ouvrage qui l'a rendu célèbre Vers une Contre-Culture, Stock, 1970 (The making of a counter culture, 1968,1969), p157-158) : « Outre Gary Snyder, il y avait Alan Watts, qui avait commencé depuis peu à enseigner à l'école des Études asiatiques de San Francisco, après avoir quitté son poste de conseiller anglican à la Northwestern University. Lorsqu'il avait gagné San Francisco, Alan Watts qui n'avait que trente-cinq ans en 1950 avait déjà publié au moins sept ouvrages sur le zen et le mysticisme religieux. (…) Des deux (avec D.T. Suzuki), je crois que c'est Watts qui a eu la plus grande influence car, souvent au risque d'une vulgarisation excessive, c'est lui qui a fait le plus pour traduire les vues du zen et du taoïsme dans le langage de la science et de la psychologie occidentales. (...1) les travaux de Watts comprennent des réussites aussi incontestables que son livre psychothérapie orientale et occidentale2. ...(le zen) une illumination personnelle qui se produit à l'improviste, sans préparation proprement intellectuelle. La meilleure manière d'enseigner le zen semble donc être de parler de tout autre chose... »

&

Par ce parler d'autre chose pour « dire » vraiment que « la voie » (et tutti quanti) consiste à n'être ni pour ni contre rien, mais ce n'est évidemment jamais mis en pratique, la chose étant considérée comme aussi illogique que de prétendre être d'extrême-droite, d'extrême-gauche, parfois de droite, parfois de gauche, mais le plus souvent au centre, et jamais – au grand jamais ! –. sans-opinion. (C'est seulement depuis une quarantaine d'années que j'ai compris que Gautama le Bouddha, lorsqu'il recommande de « cesser de chérir les opinions », inclut dans « opinions », les « valeurs », tout jugement de valeur, donc tout système de valeurs. Il est assez bizarre et incongru, me semble-t-il, que des milliers de gens aient pu mourir ces dernières années pour « la défense des valeurs bouddhistes ». Comment s'étonner ensuite qu'un Arthur Kœstler, par exemple – simple exemple, puisse déclarer que « leurs valeurs » d'Orient ne valent pas mieux que « nos valeurs » d'Occident ?)

&

Pour en rester à Roszak, personnellement, je trouve intéressant qu'il traite les sujets d'actualité en sociologue et d'éléments intemporels en historien – sans jamais pour autant se réfugier derrière les frontières de l’École Traditionnelle ou «guénonienne», à la française. Comment concevoir un espace à parcourir sans temporalité ? A priori, c'est idiot ! (Sans compter que le langage s'en trouverait banni, quasiment !3)

 

à suivre...

1Ici est rapporté l'opposition et/ou résistance des « square zen ».

2Indiqué simplement Psycho… dans ces présents billets.

3D'un autre côté, le zen est dit « sans pensée », être une conscience sans pensée… Mais, bien sûr, si vous êtes étudiant en Sciences Humaines, utilisez des expressions et termes tels que doxa ou Noble Silence !

7 septembre 2015

Devoir de Vacances 08

L’Éveil et la parfaite Santé mentale (et/ou physique, en ce que la personne la plus équilibrée ne peut qu'être momentanément ou durablement affectée par la maladie ou un accident1) ne peuvent qu'avoir une définition quasiment similaire en Orient et en Occident.

Pour mes visiteurs pressés, qui auraient l'ouvrage sous la main, je puis recommander de se reporter au premier alinéa de la page 169 – tout y est dit. Sans toutefois qu'il soit précisé qui, du prêtre ou du thérapeute, ou les deux, peuvent être d'une utilité quelconque dans la quête de la liberté et du bonheur, et leur commun accomplissement dans la mort. Ni non plus – quand ils le sont, de quelle manière ils sont utiles. Étant par ailleurs supposé entendu qu'ils sont assez généralement sources d'oppression et de malheur ; qu'entre Le Grand Inquisiteur, inclus dans Les frères Karamazoff de Dostoievsky et Vol au dessus d'un nid de coucous, de Ken Kesey, la différence tient surtout à la stature littéraire des auteurs, et assez peu à la différence d'un message de dénonciation de l'oppression hypocrite et plus ou moins sadique des suiveurs de doctrines et/ou de la lettre plutôt que son esprit, comme source de malheurs multiformes.

Le sujet abordé par Psycho… me laisse suffisamment de pain sur la planche pour satisfaire mon intention de le garder l'automne venu.

A la rentrée, il me faudra faire la synthèse entre deux séries de faits qu'Alan Watts n'eut jamais à faire, d'abord en sa qualité de sujet de Sa Majesté la Reine et fidèle de l’Église d'Angleterre dont Elle est La Chef Suprême ; ensuite, comme citoyen d'un pays dont le Chef d'État doit rendre compte devant la Constitution et ses électeurs, mais aussi en regard de son allégeance à « Dieu ». De plus en plus d'américains se méfient de la « religion » institutionnel, mais continuent de juger impensable qu'un Président puisse être athée. Or, je suis citoyen français et j'ai toujours rendu à César ce que je lui devais. Je ne puis me contenter, comme le fit Alan Watts, d'ironiser sur la contradiction qu'il y a de se prétendre à la fois & simultanément démocrate en politique et monarchiste en religion. Sans compter la fâcheuse tendance de l'Instruction Publique (française) de faire commencer l'Histoire avec la Révolution Française, le début des Lumières et la « preuve » de l'obscurantisme avec l'Affaire Galilée. Dans un tel contexte, où placer cet ésotérisme de la Tradition pérenne, auquel nécessairement doit correspondre un exotérisme admissible ? Comment une société ou un groupe d'une société peuvent-il s'affirmer religieux après avoir divorcé de la Nature ? Surtout, comment poser ce type de problèmes (s'ils font problèmes) quand toute réalité, qu'elle soit « sociétale » ou « écologique » est devenu, en France, sujet à polémique politique ? En France, il paraît impossible de dire le moindre mot en sociologie ou en écologie, parfois en médecine, si l'on ne précise pas d'abord sa position « de gauche » ou « de droite » ! J'ai un certain tri à opérer…

&

Pour le moment, je vais poursuivre mes billets d’Été au gré des textes que je rencontre et selon la fantaisie de mes humeurs2. Juste pour interdire (m'interdire) un éloignement du vif de l’œuvre d'Alan Watts. Il dit en substance que la psychothérapie est une intégration sociale réussie, l'ascèse une intégration naturelle réussie – ascèse à attendre au sens d'effort produit3 pour se couler dans le mouvement de la vie et non pas de contraintes subies ou acceptées de bon cœur. Il tient compte cependant de ce que l'être humain est un « animal social – domestiqué », que la première libération ou la porte d'entrée dans la liberté est la prise de conscience du caractère conventionnel de cette distinction. Comme « animal », l'être humain est essentiellement naturel ; comme « social » il est producteur d'un langage le séparant du naturel. A un niveau plus basique, tout animal vit lui aussi en « société » et se conforme à un « langage ». Ce serait donc les spécificités du langage humain qui spécifierait l'Homme ; lesquelles seraient bien moins nombreuses qu'on ne le crut jusqu'aux découvertes de l’éthologie moderne. D'un autre côté, un aspect de l’éthologie m'a toujours amusé, qui justifierait scientifiquement la possibilité pour les saints hommes de vivre au milieu des fauves : l'étude des règles éthologiques de déclenchement de l'attaque. Celles-ci pouvant se résumer en deux mots : incompréhension/peur et agressivité.)

 

 

 

1Ce que Descartes reconnaît dans ses Méditations métaphysiques. Soit dit en passant, Descartes est le seul philosophe français dont je possède les œuvres complètes. Je ne manque jamais de le consulter lorsque je dois dire quelque chose au sujet du Yoga !

2Et, j'avoue mon plaisir malicieux, pour l'autodidacte que je suis avant tout, d'utiliser des termes tels que leçon, devoir, formation, rentrée, etc.

3Wei wu wei, action sans action, si vous y tenez, mais le « non-effort », le « sans-action », etc. sont sinon producteur, du moins gros utilisateur d'énergie vitale. Dans ces formules orientales, il est important de garder présent à l'esprit qu'il est tout aussi logique de dire que « le yang nait de la mort du yin » et son contraire puisque les deux processus sont simultanés et s'accompagnent et se soutiennent mutuellement. Les envisager en alternance n'a de valeur que descriptive. Ils sont intrinsèquement un seul Tao ! On utilise l'alternance du jour et de la nuit comme image du Tao, mais la nuit n'est nuit qu'en souvenir du jour précédent et du jour que nous croyons devoir revenir. Dogen en dirait probablement que nous « ne sommes pas présent au temps de notre présence »...

Publicité