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La Philosophie d'Alan Watts

6 octobre 2011

Lire Alan Watts

 

 

 

LIRE ALAN WATTS1

 

 

 

 

En lisant Alan watts, s’ouvre parfois, sous le charme de sa parole une dimension parallèle de l’existence où tout serait redevenu simple. La jubilation intérieure s’intensifie peu à peu jusqu’à parvenir à conférer aux formes du monde visible une netteté, une force et une légèreté, une qualité radicalement neuves. Qu’un accent intime de la vie du lecteur vienne alors à s’entrecroiser avec les échos magiques du livre, le satori peut soudain se produire. Satori, kensho, ou tel phénomène psychologique qui en serait une prégnante évocation, peu importe!

Quelque fragment de votre propre nature, ou de votre moment d’existence, se révèle. C’est bouleversant. On voudrait croire que “ça y est”. De fait, on le croit. C’est Cela! C’est bel et bien Cela, se dit-on. Quelle merveille!

Et puis, brutalement, ignominieusement, voici l’effondrement, la désespérance habituelle, les anxiétés, les interrogations obsédantes. “Je” me retrouve emporté par le vent du karman. Rien de changé. La déception est grande.

Pourtant, ne serait-elle banale ? Et Watts lui-même aucunement coupable de miroité l’infini tao, à nos yeux émerveillés, pour nous laisser tomber ensuite, ne pas nous porter jusqu’au bout de l’expérience de vérité ?

N’avons-nous jamais assisté à tel spectacle tout en bons sentiments, nobles et généreux, exprimés sur un fond sonore et visuel féerique ; et, au sortir de la salle, ressenti comme une cruelle morsure la grisaille du quotidien ? N’avons-nous pas lu d’Artagnan ou la Princesse de Clèves et entendu le coup de sifflet du maître nous ramener à la réalité, par exemple la triviale nécessité d’apprendre que deux fois deux font quatre. Quatre, ni plus, ni moins. Sinon : mauvaise note. Sanction du Réel! Après la fougue batailleuse d’un mousquetaire ou la beauté altière d’une princesse, le constat est déprimant, ou révoltant. Mais quoi, fallait pas rêver!

On peu lire l’œuvre d’Alan Watts pour des raisons diverses, les informations sur l’Orient qu’elle contient, ses analyses des rapprochements et divergences du non-dualisme et de la mystique chrétienne, ses critiques de la société moderne.

On peut également la lire pour justifier sa propre inaptitude à la recherche spirituelle. La cause de cette diversité d’approches provient de la volonté de Watts de s’adresser à l’intuition du lecteur (qu’il appelait “sensation physique”) plus qu’à sa seule raison ou à son seul imaginaire. L’exposé rationnel de tel concept, tel fait historique, linguistique ou physique, n’est là qu’au titre de support au rebondissement d’une réflexion non linéaire, ni démonstrative, ni même “étudiable”.

 

S’il est possible d’étudier les sources bibliographiques de la pensée d’Alan Watts, il est strictement impossible d’étudier la pensée d’Alan Watts. La pensée d’Alan Watts est celle de chacun.

Au fait! d'Artagnan, la Princesse de Clèves, c’est quoi ?

Au fait! La fameuse “voie abrupte” du t’chan, c’est quoi ?

Ce sont, à une virgule près, deux phrases de même longueur. Aussi creuses l’une que l’autre, selon le tao.

 

Et pourtant -pourtant!- elles évoquent quelque chose en moi. Je Vois. Je vous jure que je le Vois : d’Artagnan tirer son épée, la Princesse de Clèves me sourire et Huineng déchirer un Sûtra. Trois personnes que je n’ai rencontrées de ma vie. Trois personnes que “je” ne “suis” d’aucune manière, bien que je galope avec d’Artagnan, baise les doigts de la Princesse et que je m’amuse énormément à regarder les morceaux du Sûtra s’envoler.

Bref! N’est-ce pas une grande folie de croire que ce qui est écrit dans les livres puisse se superposer à la réalité existentielle de chacun, et de sa situation ? Ne nous berçons-nous d’illusions dangereuses en espérant connaître l’Éveil du 6° Patriarche parce que nous l’avons lue ? Je lis “sagesse”, et je me crois déjà beaucoup plus sage qu’avant!

Ne nous conduisons-nous pas comme un cancre qui refuserait d’apprendre sa table de multiplication sous prétexte qu’il a entendu dire, à la télé, cette vérité mathématique supérieure que deux fois deux ne font pas nécessairement quatre ?

&

 

Personnellement, à lire et relire Alan Watts dans l’espoir de retrouver et d’amplifier mon émerveillement initial, je me suis rendu compte ne rien étudier d’autre que moi. Pas seulement les ornements philosophiques du questionnement de l’identité de l’Être, mais moi.

Du célèbre “Qui suis-je?” Watts est passé à la question : Suis-je moi ? Suis-je la conscience que j’ai de moi, ou bien y a-t-il une autre réalité, inconnue, qui serait mon véritable moi,un moi différent de l’idée ou de l'opinion que je m’en fais ? Watts le répète de plusieurs manières : vous ne pouvez penser si vous penser la pensée de votre objet de penser ; vous ne pouvez être ce que vous êtes et l’idée que vous en avez ; vous ne pouvez vous élever du sol en tirant sur vos lacets de chaussures.

A défaut de cesser complètement de vivre dans l’imaginaire, ou emporté par le courant des pressions sociales (cela, seul le Sage le peut), Watts nous propose de cesser immédiatement de vivre par procuration, fût-elle celle d’un Maître. Avant le Maître, le Disciple, le vrai, qui peut être un sacré pauvre type.

 

La question posée n’est pas la libération d’Alan Watts. Elle est de libérer Pierre Lhermite. Non que ce dernier doive mépriser l’émerveillement qu’induisit le premier. “Je” ne dois pas plus me moquer de cet émerveillement que de mes premiers émois d’enfant découvrant le plaisir de lire. Il sont en moi. Ils sont moi.

 

Au niveau métaphysique, “je” dois, certes, distinguer entre ce “moi” incarné d’une forme individuelle, donc très particulière et identifiable du dehors, et cet autre “moi” sans forme spécifique : immense. Les hindous disent “atman”, dans un cas comme dans l’autre. Atman qui est Brahman. (Tout comme le Christ affirmant que “moi et mon Père ne sommes qu’un”?)

Malheureusement, une confusion est fréquente qu’Alan Watts formule ainsi : confondre Dieu se “prenant” pour un ego (moi) et un ego (moi) se “prenant” pour Dieu....tout comme je me prends pour d'Artagnan en lisant ses aventures, ou pour le 6° Patriarche du t’chan en lisant le récit de sa vie, non moins aventureuse que celle d’un d’Artagnan, d’ailleurs.

&

La but des lectures dites spirituelles, ou philosophiques, est de connaître les limites et les pièges du langage, le profit d’une lenteur ruminative associé à une relaxation du corps. Surtout, et s’il fallait retenir une seule leçon de l’œuvre de Watts, la toute première serait sans doute celle-ci : ne pas s’identifier à des mots -y compris ceux de délivrance, Éveil, Sagesse... ou Alan Watts, tel ou tel Maître (ou simili Maître).

 

Je l’avoue, je me suis senti humilié, blessé, quand à lire Watts, j’ai compris ne le lire guère autrement que Simenon, San-Antonio ou la dernière bande dessinée à la mode.

 

Le Grand But n’est peut-être pas du tout, à strictement parler, la “mort à soi-même” ou la “mort dans la vie” (A noter qu’il d’usage relativement courant d’user du terme de “délivrance” aussi bien pour une naissance que pour une mort). Il est avant tout la mort de l’enveloppe, les multiples représentations du monde et de soi-même. Tant qu’un disciple est capable de repérer dans son esprit la Parole du Maître, il demeure dans la maya. Quand un disciple commence de faire siennes les Paroles du Maître -miroir de son propre visage, à lui, et point celui de l’Autre, fusse le Tout Autre divin... la Voie s’ouvre. C’est lent! Car, autant le dire, la voie prétendument “abrupte”, le subitisme du tao ou du t’chan : c’est lent. Une lenteur exaspérante, mortelle. Une agonie à n’en plus finir.

 

Cher Alan Watts, j’eus aimé t’écrire une sorte de “lettre ouverte”, pour te dire que tu as bien trop raison : n’importe quel livre peut servir dans la quête de l’Éveil, par exemple un dictionnaire ou Alice au pays des merveilles. Ou tes livres. Mais pas forcément tes livres. Tes livres parmi d’autres, tous d’aucune importance, quoique tous sacrés. Tu le dis toi-même...

 

 

 

P.S.-- (de 1999) Cher Alan, des amis personnels m’ont vivement reproché cet article, paru la même année que mon essai sur toi et ton œuvre.

Comme contre publicité, on ne saurait faire mieux, m’ont-ils dit. Tu viens de scier la branche sur laquelle tu voulais te percher. Tu dénigres ta propre admiration pour Watts. Tu dénonces ta propre fascination pour son personnage, ton propre enchantement pour son œuvre. Serais-tu donc désenchanté de l’avoir étudié ? Serais-tu désabusé de ses leçons ?

Agonie! Agonie! Quelle stupidité! Tu crois que c’est porteur, ça? Vends-leur donc le jaillissement inépuisable de la vie, l’inaltérable beauté des choses du monde, l’incandescente jouissance érotique de la marche spirituelle, l’étincelante lumière du But Suprême de la Voie qui se reflètent dans toute l’œuvre du grand philosophe californien. Tu aurais du prendre le risque d’écrire que tout chercheur spirituel de notre époque contemporaine doit forcément lire Alan Watts, que ses livres sont par eux-mêmes des étincelles d’Éveil, que ses livres sont rares et précieux, qu’ils émergent au milieu de tant d’autres ouvrages d’aucune portée, d’aucune importance -et aussi illusoires qu’Alice au pays des merveilles. Voilà ce que tu aurais du écrire!”

Alan, j’en suis sûr, tu ne m’en veux pas d’avoir placé la Vérité -du moins l’esprit de vérité et de véridicité- au dessus de ta personne, mettant ainsi une pierre dans ton jardin, marquant que l’expression de ta pensée se prêta trop souvent aux pièges de l’imaginaire.

Je te promets d’être plus prudent à l’avenir et d’essayer de ne plus dévoiler trop crûment les choses. Mais, je te ferai remarquer que ceux-là même qui te critiquent en usant de ces arguments, ou qui me critiquent afin de nuire à ton message, tombent justement eux-aussi dans les pièges de l’imaginaire et de la propagande du fantasme de perfection en faisant croire qu’on peut lire Fa-ai écrivant Huineng comme Alexandre Dumas d’Artagnan.

La lecture par le cœur (le xin des chinois) vaut la prière du cœur et la précède.

Nous demeurons nos propres flambeaux et, dans son équivocité même, la vérité continue d’être notre seul recours, n’est-ce pas?

 

 

Ps- (2011) - Je pensais superfétatoire d'indiquer d'une quelconque manière que "ces amis" qui m'auraient critiqué pour cet article sont eux-mêmes imaginaires, ou, en d'autres termes, qu'ils sont en moi, mais sans que je m'y identifie plus que je ne m'identifie au "moi-je" qui signe en tant qu'auteur.

Au risque de trop en dire, d'en devenir lourd s'agissant d'un sujet par essence léger comme le vent : se prendre pour un mousquetaire en lisant Alexandre Dumas, pour un méditant en lisant Huineng, Alan Watts ou un autre ; et se prendre ensuite "sur le fait", ou "en flagrant délit" de cette illusion, il peut être bon de le savoir : c'est ce que les textes anciens appelaient jadis "l'accès par la parole". La parole qui "fait croire que".

Quand cette prise de conscience à double volet (une sensation + la connaissance du caractère illusoire de celle-ci)... a été faite et clairement digérée, il devient plus aisé, et sécurisant, de tenter de sortir des lignes du livre pour aller voir ce que ça peut donner dans la réalité naturelle : un arbre, le vent, l'arbre que l'on voit, le vent dont on ressent le souffle sur ses joues, les branches de l'arbre qui plient sous le vent et notre propre corps qui arc-boute pour lutter contre le vent, etc. N'importe quel élément de notre environnement peut être pris : le soleil qui éclaire le côté d'une colline et crée de l'ombre sur son autre versant de même qu'il réchauffe un côté de notre corps mais pas l'autre, etc. Se rendre compte de l'existence de ces relations complexes dans sa propre perception et dans sa propre sensation qui en résulte (l'expérience vécue ne faisant pas la différence), c'est franchir le seuil de la fameuse Conscience Cosmique dont nous entretiennent les livres d'Alan Watts.

Mon truc se voulait à double détente :

1- Il nous est facile de comprendre que notre identification à d'Artagnan est un leurre ; il suffit de lever les yeux du roman pour se rendre compte que l'on est pas à cheval et reprendre conscience du bruit de la circulation automobile...

Il n'en va pas de même quand on vient de vous dire que "Vous êtes bouddha", que le bonheur est "en Vous" et que la Sagesse, l'Identité Suprême, s'ouvre à Vous en un instant, etc. etc. etc.

2- Il peut être de la plus grande utilité pratique de savoir que l'émerveillement ou tout autre sensation que Vous éprouvez pour le texte d'Alan Watts PEUT et doit être reporter sur ce dont il porte !

 

Connaissez-vous l'histoire de ce jeune vacher qui ne parvenait pas à méditer ? Vous savez... celui à qui un maître conseille imprudemment de méditer sur quelque chose ou quelque être qu'il aimât... quand le maître lui demande de sortir de sa hutte, il répond qu'il ne peut pas, que ses cornes l'en empêchent bloquées par les montants de la porte. Comme la plupart des petites histoires orientales, celle-ci peut donner lieu à divers commentaires potentiellement divergents : ce jeune vacher se serait identifié à l'objet de son amour, ou il aurait confondu "concentration" et "méditation", etc.

C'est idiot, absurde.

Est-ce beaucoup plus absurde que l'idée de quelqu'un qui, venant de lire Dumas, refuserait de sortir de chez lui sous prétexte qu'il ne retrouve plus son épée ?

Plus absurde que de croire pouvoir obtenir l’Éveil en lisant Watts ?

Moins idiot que de prendre les discours sur la sagesse (et la sensation qui en résulte, l'excitation intellectuelle ainsi induite) pour la Sagesse même ?

Je joue sur et avec les mots. Peut-être vous en amusez-vous en me lisant et cela est un phénomène réel : vous me lisez, vous vous amusez... ou vous vous ennuyez (auquel cas, je m'en excuse).

Ce que je veux exprimer par cet addenda est l'utilité pédagogique de l'histoire du jeune vacher quand on la place en regard de la lecture d'Alan Watts, ou de tout autre vulgarisateur - je ne suis pas sectaire : il appartient à chacun de vérifier par lui-même s'il lui est possible de s'identifier au Cosmos comme ce jeune vacher aux cornes de son buffle...ou comme tout néophyte de la pratique du za-zen à sa posture.

 

D'abord, bien sûr, qu'il faut faire Attention !

Attention à ne pas s'identifier à ce que l'on perçoit (nécessairement parcellaire) ou à soi-même (partiellement) en train de percevoir, mais à la relation de l'un à l'autre. Sans être la Sagesse, c'est un premier pas vers la sortie de l'illusion livresque.

Hélas! Ce peut être aussi vers l'entrée dans une nouvelle illusion : que l'unité de ma perception et de mon aperception soit équivalente de cette Conscience Cosmique.

L'issue serait quelque part dans l'entre-deux de ces illusions... Hum!

(A l'usage de ceux qui se demanderaient encore comment s'y prendre, l'ouvrage "Matières à réflexion" présente le plus grand intérêt pour mettre en pratique une nouvelle attitude face aux pressions sociales d'une culture fondées sur l'effet de réclame.)

 

 

 

 

 

1- Cet article parut d’abord dans la revue Les carnets du yoga n° 54, décembre 83

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12 septembre 2011

L'actualité future d'Alan Watts

 

 

L’actualité future d’Alan Watts

 

 

 

 

Actualités & Actualité

 

Une actualité en remplace toujours une autre, tout en conservant les mêmes moteurs émotionnels. La haine qui entoura les faits et gestes du Christ n’était, on peut en être certain, d’aucun caractère différent que celle dont nous pouvons être les spectaleurs actuels. La haine, la violence font partie des caractéristiques de l’espèce humaine ; mais l’amour et la sagesse aussi. En cela, Alan Watts ne saurait être “dépassé” ; il traitait de “réalités humaines” assez permanentes dans le passé, le présent et le futur.

La pensée et la vie même d’Alan Watts furent assez décriées, tout comme on peut se sentir horrifié par le simple constat de la permanence des guerres et autres bains de sang, qui, le progrès aidant, ont acquis une efficacité de plus en plus importante. Pourtant, à la suite et avec bien d’autres, Alan Watts a répercuté un message de paix et de tranquilité d’esprit. Ne serait-ce qu’en cela, il n’appartient pas aux nouvelles du jour, mais à la permanence intemporelle des sages de toujours et de partout.

 

Le texte qui précède fut écrit à un moment, où la situation en Bosnie-Herzégovine faisait la une de l’actualité journaliste, la une de l’information sur l’actualité. (A présent, c’est le Kosovo et la Tchetchenie.)

Je tiens au passage à faire observer que, par une simple émission de radio, j’ai été “informé” de la situation en Bosnie-Herzégovine deux ans avant que ne soit tiré le premier coup de feu. Puisque j’en étais informé, sans être l’occulte directeur d’un puissant service de renseignement, on peut supposer que les gens “bien informés” en savaient bien plus que moi. Or, ce premier coup de feu a été tiré, de nombreux autres coups de feu ont été tirés ; certains de ces coups de feu ont atteints leurs cibles, ces cibles en sont mortes. Quelques charniers se sont donc avérés indispensables au bon déroulement des opérations sur le terrain.

Mais, laissons les morts enterrer ou incinérer les morts, laissons les croque-morts à leur métier - fonction plein d’avenir. A quand “croque-morts sans frontières”? La demande est urgente. Elle est urgente ; elle n’est pas nouvelle. Toujours et partout, il y eut des mères épeurées berçant de petits corps sans s’être encore rendues compte qu’elle ne bercent plus qu’un cadavre. Actualité permanente de la cruauté et de la bonté, de la laideur et de la beauté, du mensonge et de la vérité du temps présent.

Lors de la guerre du Biafra, j’avais répondu à un appel de Lanza del Vasto et participé à une manifestation non-violente. Nous étions une centaine, guère plus. La mort des autres n’est guère mobilisatrice ; la paix n’est pas motivante. Elle n’est même plus à la mode, comme elle le fut au temps des hippies et des Beatles. “Peace and love”, “fais l’amour et non pas la guerre”, tout ça...exit!

Pourtant, selon Watts, la violence n’est pas “instinctive”, ni “pulsionnelle” ou autre ; elle est de l’ordre de la force motrice d’une locomotive : locomotive. S’interroger sur l’instinct de violence revient donc à se demander ce qui fait qu’un instinct est instinctif ou que la violence est violente.

A ce titre des hommes tels qu’Alan Watts, Thomas Merton, Thich Nhat Hanh, Khrisnamurti, Sa Sainteté le Dalaï lama ou le Pape et bien d’autres comptent et pèsent autant que des divisions blindées1.

Je place Alan Watts en tête de ma liste parce-qu’il est le sujet de ces lignes, et non par ordre de prééminence ou de précellence.

Traitant et raisonnant de, et depuis, la philosophie d’Alan Watts au niveau des idées, mon coeur ne le dissocie pas de tous les autres hommes de paix et d’amour fraternel. La planète Terre en a de plus en plus besoin.

&

L’anglais a strictement conservé, dans son usage courant, le sens premier de l’acte (Actual = réel, véritable, avant que de signifier l’actuel, le présent ; actuality = réalité autant que temps présent ; actually = véritablement, de fait, en fait autant que actuellement.)

En français cet usage anglo-saxon est réservé à la langue théologique et philosophique: “actuel” = “ce qui est en acte” =/= potentiel ou virtuel ; “actualisation” = passage à l’acte ; “actuer” = faire passer à l’acte ce qui est en puissance. En ce sens, le titre du présent essai n’a rien d’un paradoxe ou d’un jeu de mots.

 

Watts et ses masques.

Du jeune gentleman débarquant à New-York, muni d’une canne à pommeau d’argent, au quinquagénaire excentrique accusé de corrompre la jeunesse, Watts porta bien des masques. Après s’être, à quinze ans, prétendu bouddhiste, le voici a trente prêtre épiscopalien. Il devient ensuite professeur, un pro­fesseur honorable portant noeud papillon. Quelques années plus tard, il reprend sa liberté pour devenir un philosophe non affilié qui proclame n’être un tenant ni du bouddhisme, ni du christianisme, ni du zenisme, ni d’aucun autre “isme”. Il stupéfie parfois l’auditoire de ses conférences par l’extravagance de sa te­nue, son attitude ou ses propos. Faisant tinter une clochette selon un rythme espacé, il explique que Dieu est ce silence duquel provient le son universel de la vie. Au milieu de son exposé, il s’interrompt et demande à ses auditeurs de ne pas froncer les sourcils afin de mieux comprendre : il est préférable, dit-il, de se détendre : Allons, respirez...Là-à-à...Respirez doucement!” Voilà qui ne fait guère sé­rieux : s’attend-on à ce type de comportement chez un philosophe de renommée internationale ? Que penser ?

Ses détracteurs lui reprochent de n’être qu’un amateur, un homme de spectacle, quand ils ne l’accusent pas de charlatanisme à la mode orientale. D’autres le prennent très au sérieux et lui portent une grande affection. Dans son Journal (été 1963), Anaïs Nin le dépeint comme un maître au “sourire contagieux” qui a “appris un silence vivant, pas inarticulé, mais une méditation...”

Mircéa Eliade, qui a bien connu Watts, juge pour sa part qu’il “avait un génie de divination en ce concerne certaines traditions orien­tales (...) Je crois (ajoute-t-il) que Watts n’a pas véritable­ment abandonné la prêtrise, mais qu’il a cherché une autre voie pour communiquer à l’homme moderne ce que les hommes d’autrefois ap­pelaient Dieu (...) J’admirais sa puissance de divini­sation.2

Témoignage précieux, provenant d’une personnalité peu contesté, car il nous ramène implicitement à un “Dieu” pré-humaniste, un “Dieu” qui n’était pas encore cette figure où se mêlent le père fouettard et le copain christique. Il permet d’autre part d’expliquer l’évolution de la pensée de Watts qui, très jeune, a le privilège de connaître une première “illumination”. Il éprouve alors le senti­ment de son étrangeté, encore accru par le fait que le Grande-Bretagne sort à peine de l’ère victorienne. Bien qu’il ne sache où se tourner, il lui faut choisir un rôle social et occuper une place dans le monde. Il écrit donc quelques articles ainsi qu’un premier livre sur le bouddhisme zen alors peu connu. Emigré à New-York, il donne des conférences sur la psychologie, organise des groupes... Ses in­térêts essentiels étant d’ordre religieux, pourquoi en pas se plier au style de vie occidental en tenant le rôle du prêtre ? Il est inti­mement convaincu du relatif isomorphisme des religions, aussi ce virage du zen vers le sacerdoce ne pose-t-il aucune difficulté psy­chologique.

Malheureusement, le message ne passe pas. Et, de plus en plus mal à l’aise dans son rôle, il finit par le quitter. Il écrit Bienheureuse insécurité, livre dont il suffirait de modifier quelque peu les tournures de phrases pour en faire un autoportrait spirituel. Les con­clusions qu’il présente à son lecteur sont celles qu’il apporte à sa propre vie. Il voulait annoncer Dieu, mais non des “bondieuseries”, et il découvre que l’on ne peut procurer une “vision de Dieu” en prê­chant une “croyance en une quelconque idée de Dieu.3” On ne peut posséder (et donc donner) Dieu qui est aussi insaisissable que la vie ; toute tentative de retenir l’un ou l’autre sera follement vaine. Il ne reste qu’à couler au fil du fleuve de la vie, en oubliant toute représentation de Dieu, car il n’est connu que de “ceux qui ne le connaissent pas du tout.4” Voilà le programme qu’il suivra dé­sormais. A partir de cette époque (1951), il se coulera dans les formes diverses des circonstances socio-culturelles, sachant abo­lie toute séparation entre “je” et moi, homme et monde, idéal et réel. Il consacrera le reste de sa vie et de son oeuvre à , d’une part, rappeler le caractère bi-polaire (mais non agressivement duel) de l’univers entier ; d’autre part, insister sur le rejet par le monde moderne du pôle naturel, joyeux, féminin, contemplatif, réceptif, irrationnel, non-historique, non-progressiste, non-poli­tique......Bref, le pôle “yin”. Chungliang Al Huang résumera ainsi la vie et l’oeuvre de Watts : “Alan est mort des excès de yang du monde moderne”. Excès qui se caractérisent principalement par une volonté de conquérir la nature - et donc de se prétendre situé en dehors et au dessus d’elle -par l’importance démesurée accordée au politique et aux institutions diverses, ainsi que par l’inflation verbale et la surinformation.

Dans un livre de souvenirs, Jacques Brosse parle d’Alan Watts comme d’un ami5. Il rapporte aussi la rencontre de Michaux et de Watts. Henri Michaux qui prononca une condamnation sans appel: ”Eh bien, non, ce n’est pas un maitre! De loin, on aurait peut-être pu s’y méprendre, mais quand on a l’homme en face de soi!...C’est seulement un illusionniste qui s’est pris à son jeu...” Jacques Brosse juge la sévérité excessive, précisant: “Je sentais que surtout il en voulait à Watts d’oser emprunter les mêmes parcours.6

Dans ce même livre, Jacques Brosse trace un très beau portrait d’Alan Watts ; un portrait tout en nuances, plein d’humour et d’amour7. Ce qui me réconcilia mentalement, je ne l’ai jamais rencontré, avec Jacques Brosse. En effet, j’avais très mal supporté le titre de son article: Alan Watts, histoire d’un échec8.

Le mot “échec” ne convient absolument pas, ni à Watts, ni du reste au contenu de l’article. “Alan Watts, une histoire inachevée” eut été préférable à mes yeux. Tenter de résumer ce portrait de Watts serait en trahir la saveur douce amère. Je ne puis que citer la conclusion. Jacques Brosse était en train de lire les “Mémoires” d’Alan Watts, un soir de novembre 1973, “quand, tout à coup, le texte se mit à danser sous mes yeux (...) tout autour de moi était devenu noir, (...) Au sein de la ténèbre, je percevais des ondes, des sillages ; elle était irisée, nacrée même, ce qui pour un Noir est bien singulier. (...) Me vint à l’esprit cette interrogation absurde: ‘Qu’est-il arrivé à Alan?’ (...) Une semaine plus tard, j’appris la mort de Watts, elle avait eu lieu cette nuit-là. Il ne s’était pas réveillé.

Alan Watts avait cinquante-huit ans, ce qui, comme le remarque l’éditeur de son livre posthume, L’Envers du néant, est beaucoup trop jeune pour un métaphysicien. Peut-être, en effet, son oeuvre n’était-elle pas mûre.”

Peut-être bien, oui. Raison pour laquelle, j’eus aimé “Alan Watts, une histoire inachevée”, pour titre de l’article précité.

Pour m’aider à faire le point sur cette actualité, dont je parle plus haut, j’avais pris contact avec l’Alan Watts Society for Comparative Philosophy . Sa secrétaire m’avait rassuré sur la poursuite de la diffusion de la pensée d’Alan Watts et donné l’adresse de Dominique Becker9.

Dominique Becker, qui cite d’ailleurs Jacques Brosse, mentionne également les opinions de trois autres personnalités bien connues en France, avec ce commentaire: “Il est frappant que (...) tous parlent de qualités non mesurables, dont l’appréciation est très subjective ; même Mircéa Eliade parle de divination, forme d’intuition, là où Dom Aelred Graham utilise le mot de génie et Arnaud Desjardins ceux de liberté intérieure. Sans complaisance par ailleurs, reconnaissant ouvertement les faiblesses de Watts, le père Graham, Eliade et Desjardins sont d’accord pour dire que Watts était un individu exceptionnel par sa présence et sa méthode.10

 

Ce qui se présente à mes yeux comme le plus important est l’expérience subjective que l’on a de sa relation personnelle à Watts et à son oeuvre ; l’appréciation portée sur Watts révèle autant “l’appréciateur” que “l’apprécié” (en bien ou en mal, selon telle orientation ou telle autre). Appréciation pouvant varier dans le temps chez une même personne, et si Jacques Brosse est un exemple typique à cet égard, il n’est pas unique. Et, personnellement, j’ai beaucoup “apprécié”, à mon tour, son portrait/souvenir de Watts précisément parce-qu’il y synthétise avec beaucoup de nuance et de coloration ses propres positions.

L’éclairage que l’on donne aux masques d’Alan Watts diffèrent selon les points de vue ; de même pour l’oeuvre.

Il est possible d’envisager son oeuvre au plan de la culture. A la sortie de Bouddhisme zen, ce fut le cas de la revue Les Livres (Institut Pédagogique National): “C’est une très bonne divulgation qui n’a pas les défauts d’une vulgarisation.” Et, j’applaudis à cette critique! Watts divulgateur sans être vulgarisateur. Mon avis est que Watts est un bon divulgateur, si bon du reste que certains prétendus spécialistes feraient bien de procéder à une révision de leur savoir en tenant compte des pistes ouvertes par Alan Watts. Je crois que c’est à ce point que faisait allusion Mircéa Eliade par son expression “pouvoir de divination”. Sans faire étalage d’un apparail d’érudition particulièrement vaste, Watts comprenait et donnait à comprendre, parce qu’il était ce qu’il disait. Il ne faisait qu’effleurer les divers sujets, mais il le faisait là où il fallait le faire, là où c’était juste. Pour ma part, et contrairement à ces mauvaises vulgarisations auxquelles je faisais allusion, je parviens à déchiffrer des textes assez savants grâce aux clefs que Watts m’a fourni par son oeuvre.

Il revient à chacun d’approfondir les domaines qui l’intéresse particulièrement, ou dont il a besoin pour éclairer sa propre recherche expérientielle, sur le terrain de son existence et des réalités quotidiennes. Watts n’était pas un spécialiste s’adressant à d’autres spécialistes ; il entendait passer le message “en direct”.

Tout en reconnaissant que ce puisse être possible, Mircéa Eliade demeurait assez sceptique: “nous sommes ‘condamnés’ à recevoir toute révélation à travers la culture”11. Cette tentative d’ouvrir la philosophie et les phénomènes religieux et/ou mystique est cependant celle d’auteurs de plus en plus nombreux.

 

&

Il est également possible d’envisager Watts en tant que maître à penser de toute une génération s’essayant à une contre-culture. Maître à penser et contre-culture furent les deux façons de le présenter (en France) de 1970 à sa mort en 197312.

La manière la plus concise et représentative de ce point de vue est celle de Kenneth Rexroth (qui fait mention du nom de Watts: “Si la société alternative devenait une société de bouddhas écologistes, nous aurions atteint le but final: un monde fondé sur l’aide mutuelle, le respect de la vie, et sur la conscience de la place de chacun dans la communauté de toutes les créatures. Tels sont les fondements d’une société alternative.13

Ainsi que celle Michel Lancelot: “La contre-culture est une culture nouvelle, souvent parallèle ou souterraine, et qui entre en rébellion avec la culture officielle, celle-ci, aux mains de l’économie et du pouvoir, étant jugée aliénante, statique, sclérosée, dépassée ou inutile. (...) La contre-culture ne prétend pas détruire concrètement la culture existente. Elle la renie, ou s’en détache, pour mieux la prolonger ou l’élargir.14

Et, Michel Lancelot cite un écrivain suisse, Herbert Meier:

“L’homme nouveau ne se tient ni à droite, ni à gauche, il avance. Il est en chemin. Qui se tient à droite, qui se tient à gauche, se tient dans un cas comme dans l’autre, à l’écart.

“Qui chemine vraiment ne va ni toujours à droite, ni toujours à gauche, ni ne tient non plus son juste milieu. Il revendique la route sur toute sa largeur...15

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&      &

 

Dominique Becker m’apporte une appréciation qui a d’autant plus de valeur qu’elle est le fait d’un universitaire et non d’un “fan” inconditionnel, tel que moi16: “S’il est bien difficile, voire impossible, de parler de l’actualité ‘future’ de Watts, on peut parler de son actualité au sens où ses idées peuvent représenter une source de réflexion (spirituelle, philosophique, sociale) aujourd’hui, mais aussi au sens où on publie de plus en plus ses essais ainsi que des ouvrages critiques sur lui. Il est vrai que c’est principalement aux USA et que c’est le fait d’un petit groupe personnes (...).

Enfin, l’actualité de Watts, c’est peut-être aussi les marques de reconnaissance de ceux qui l’ont connu: ainsi le peintre californien Gordon Onslow-Ford qui exprime sa reconnaissance à Watts dans le manuscrit de son livre non encore publié Instant Painting ; on pourrait parler aussi de l’octogénaire britannique Douglas Harding qui a bien connu Watts et a probablement été influencé par lui...”

Dominique Becker revient à l’objet de mes préoccupations personnelles en me donnant un avis synthétique, qu’il m’a aimablement permis de reproduire ici: “On peut donc bien parler de l’actualité de Watts, car on a l’impression qu’en ce qui le concerne, il y a constamment du nouveau. On peut, finalement, parler de son ‘actualité future’, en postulant que, les ouvrages de Watts étant de plus en plus difficiles à trouver en langue française, Watts ne pourra sans doute être réellement connu dans notre pays que grâce au réseau Internet (...) Il y a peut-être un espoir lorsque l’on découvre un site désintéressé comme la ‘Alan Watts mailing list digest’ dont le but est de permettre aux gens de s’exprimer pour échanger entre eux questions et réponses sur des sujets qui touchent autant au bouddhisme qu’à la mystique, à l’écologie qu’au problème de l’action dans le monde, et, bien sûr, à la pensée d’Alan Watts. Un optimisme mesuré est sans doute permis, mais la disponibilité de plus en plus réduite des livres de Watts en langue française n’est guère rassurante.”

Je ferai remarquer que Dominique Becker est la preuve vivante de son erreur d’appréciation sur ce dernier point, puisqu’il a pu soutenir une thèse sur Watts, et y interesser un certain nombre de personnes du monde universitaire17.

C’est un fait qui ne peut avoir que des retombées positives au plan éditorial. Si le public en exprime la demande, les maisons d’Edition ne sauraient se refuser à une reprise de la diffusion de l’oeuvre d’Alan Watts.

 

Certains esprits grincheux ne manqueront pas de prétendre à l’inutilité, voire la nocivité, d’une telle reprise d’audience. Je vais y revenir sur un plan plus philosophique au chapitre suivant. Je puis dire sans attendre que le bienfait d’une telle reprise est double. D’abord, mais l’aspect est d’intérèt mineur, Watts demeure un témoin d’une réelle rencontre entre l’Orient et l’Occident, aventure qui ne fait que commencer et qui continue de permettre une critique socio-culturelle des valeurs de la Société occidentale “progressiste”18. Ensuite, et surtout, je suis intimement convaincu que l’on a pas encore compris et exploité toute la valeur de la pensée d’Alan Watts, tant sur le terrain culturel que sur le terrain intime de la recherche de chacun. Ce qui signifie que ce temps n’a pas encore “rattrapé” Watts, que Watts est devant nous, en avance. La pensée d’Alan Watts sera pour le début du XXI° siècle de notre impérialiste comput occidental l’une des possibles planches de salut. Tout particulièrement pour l’Europe, une Europe qui n’a toujours pas digérée cette réalité de ne plus être le centre du monde, en fait de ne l’avoir jamais été en dehors de nos fantasmes colonialistes et de notre européano-centrisme culturel. A la mondialisation qui s’engage déjà au plan économique doit correspondre une planétisation des esprits et des mentalités. Personnellement, j’eusse préféré que cette planétisation spirituelle soit première. Mais, c’est désormais impossible ; le rêve s’est évanoui. Faute de ne plus pouvoir en rêver, on peut néanmoins en faire une ou deux questions: A une mondialisation économique n’est-il pas nécessaire d’y faire correspondre un oecuménisme philosophique et religieux global -un oecuménisme de tout le Globe planétaire, un oecuménisme de la Paix, paix des armes et paix des coeurs? Est-ce trop demander?

 

Est-ce trop demander?

 

&

 

OM - Shânti - Shânti - Shânti.

 

 

1- La célèbre phrase prêtée à Staline : “Le Vatican ? Combien de divisions?”

2- L’épreuve du labyrinthe, Mircéa Eliade, Belfond, p 77

3- Bienheureuse insécurité, par Alan Watts, Ed. Stock, p 29

4- ibid. p 186

5- Les grandes personnes, par Jacques Brosse, Robert Laffont,1988, p 267

6- ibid. p 343

7- ibid. p 349-354

8- Dans “Question De”, n° 34, Janvier-février 1980, p 83-97.

9- Lettre de Ruth Costello d’octobre 1995.

10- Thèse de Dominique Becker, 3° Partie, chap. 1, intitulé “L’audience de Watts”. Le soulignage est de mon fait. Je pense que l’approche que l’approche tant de l’homme que de l’oeuvre de Watts ne peut être que subjective, que le but est soi-même, que le lecteur importe plus que l’objet de sa lecture, ou si l’on préfère que l’objet même d’une lecture de Watts est soi-même.

11- op. cit. p 77

12- Plexus de Juin 70, sous la plume de François Clairval

- Psychologie de septembre 70, sous la plume de Jacques Mousseau

- Le sauvage de février 74, interview d’Elisabeth Antebi

- Le Monde du 22 Novembre 73, sous la plume Jean-Michel Palmier (qui utilise également le terme de “génie”)

- Question de n° 2, 1974, sous la plume de Jacques Mousseau

- Ces thèmes seront repris lors de la parution de mon propre essai sur Watts, par Le Monde du 8 juillet 83, sous la plume de Roland Jaccard, par la revue Aurores de Mai 83, sous la plume de Eric Edelmann, par la revue canadienne Spirale de Mai 85, sous la plume de Gilles Farcet.

- Quant à la liste d’articles dans des revues associatives ou parallèles, écolos ou anarchistes, l’énumération serait fort longue. Le dernier article que j’ai lu de ce genre est, je crois, celui qui est paru dans Le journal du chant de la Terre, “Equinoxe 1993”, sur papier recyclé, et distribué gratuitement!

13- Traduction par la revue Plein chant, n° 24, Avril-juin 1985, p 49 d’extraits de The Alternative Society, Essays from The Other World, par Kenneth Rexroth, Herder & Herder, New-York,1972

14- Le jeune lion dort avec ses dents, génies et faussaires de la contre-culture, par Michel Lancelot, Ed. Albin Michel,1974, p 21. Michel Lancelot avait publié deux ans plus tôt Je veux regarder Dieu en face, même éditeur, qui constitue un véritable document historique sur les naïvetés, les espoirs fous, les rêveries du mouvement hippy, sa noblesse aussi!

15- Le jeune lion..., p 290

16- Lettre du 19 octobre 1996, les soulignages sont de mon fait.

17- Dominique Becker signale aussi qu’il est en contact avec un étudiant australien menant un travail de recherche sur Watts.

18- Je m’en voudrais de trop insister sur ce point, mais je puis ne m’empêcher d’y penser. Tous ces morts de Bosnie, du R/wanda et d’ailleurs sont les victimes de nos normes socio-culturelles et socio-politiques occidentales. Ce sont ces normes mêmes qu’il faut traduire en cour de justice pour Crime contre l’humanité et non ces pauvres types sadiques qui n’en sont que l’expression. Ces atrocités sont d’abord métaphysiques et religieuses. Ce n’est pas la gachette qu’il faut supprimer, c’est le doigt mental qui appuie dessus.

19- Les carnets du yoga, n° 24, Décembre 1980, par Jeannette Kempfrer.

20- L’un des thèmes dont débatirent les premiers penseurs chinois convertis au Bouddhisme porta précisément sur le contenu du Nirvana : est-il joie ou “plus rien du tout”?

21- Quelque part dans les nuages, op. cit.

24 août 2010

épigraphe

watts_breyHe blazed out the new path for all of us and came back and made it clear.
Explored the side canyons and deer trails, and investigated cliffs and thickets.
Many guides would have us travel simple, like mules in a pack train, and never leave the trail.
Alan taught us to move forward like the breeze, tasting the berries, greeting the blue jays, learning and loving the whole terrain.


Il avait pour nous tous ouvert le nouveau chemin et était revenu nous l’indiquer clairement.
Avait exploré le bord des canyons et des sentiers de cerf, fouillant falaises et bosquets.
Nombre de guides auraient voulu nous simplifier le voyage, nous aligner comme un train de mules, et sans jamais s’écarter de la piste.
Alan nous a appris à aller de l'avant comme la brise, dégustant les baies, saluant les geais bleus, apprenant et s’éprenant du terrain tout entier.
(traduction libre)

Cet épitaphe écrit à la mort d'Alan Watts conviendra à merveille d'épigraphe à mon nouveau livre (en vue)

24 juin 2010

Apophatique Générale

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Situation de cette note

Un ami m'a fait remarquer que j'utilise souvent l'expression d'Apophatique Générale pour désigner l'ensemble de la philosophie d'Alan Watts, sans donner plus de précisions.

Que je suis actuellement occupé ailleurs. (J'écris une sorte de roman.)

Qu'intuitivement, les lecteurs habituels, les familiers de l’œuvre et de la vie d'Alan Watts comprennent très bien ce que je veux dire par là, ou du moins de quel côté j'invite à regarder (et, souvent, dans leurs propres vies y vont -de ce côté là.

Que je ferais bien, toutefois, à l'intention des nouveaux amateurs de ce philosophe hors normes, "philosophe en liberté" comme il aimait lui-même se qualifier, -et en attendant un ouvrage complet-, de préciser au moins d'où me vient cette expression.

 

Je me propose d'apporter ici cette précision :

L'idée de cette expression, de cette étiquette, -car ce n'est d'abord que cela-, vient de deux-trois associations d'idées évidentes :

A- La Théologie mystique de Denys le pseudo Aréopagite, que traduisit du grec et commenta sommairement Alan Watts pour l'obtention de son Doctorat de Théologie

B- La Sémantique générale de J. Korsybski, à laquelle il s'est maintes fois référé pour expliquer ou exploiter certains paradoxes de la littérature Chan/Zen quand elle vise au ko'an (ou Kong-an) ou encore au "hua tu" (qui est justement une "mise en doute")

C- Une grande partie de l'ésotérisme guénonien peut être considéré comme une variété d'apophatisme (pour peu que l'on cesse d'y voir de mystérieux codes pour initiés de Service Secret)

 

En matière de référence textuelle, on notera aussi qu'Alan n'hésita pas à dire et réitérer que Shankara et Nagarjurna visent une même réalité (ceci au grand scandale des érudits).

 

Affaire de donner une définition :

Quand Alan Watts, dès le 1°Chap. de "Psychothérapie en Orient et en Occident" nous dit que

"les idées que nous avons du monde et de nous-mêmes (ne sont que) des conventions sociales, et que les institutions ne sont pas à confondre avec la réalité. Les règles de communication ne sont pas nécessairement les règles de l'univers, et l'homme n'a pas le rôle ou l'identité que société entend lui donner", il définit là ce que je me suis permis d'appeler "Apophatique Générale".

 

En pratiquant un "aller-retour" entre cette "définition" et les points A, B et C, toute la philosophie d'Alan Watts s'y récapitulerait. Les commentateurs, les critiques (élogieuses ou non) se sont généralement attachés à un seul aspect de sa démarche, notamment son rôle dans la propagation du Zen en Occident, sa dénonciation de la société moderne et sa proposition d'un style de vie qui sorte du "métro-boulot-dodo" & costume trois pièces cravate ou le psychédélisme et la mode hippie...

 

En restant dans le cadre restreint de cette note, le point central de sa démarche peut se désigner par "modification de la conscience". Toute sa conscience d’Être au monde. Alors, conscience de Dieu ? Mais qu'est-ce que C 'Est que ça que l'on formule par le mot Dieu ? Et, Conscience sociale ? Et, Conscience de soi ? Expansion de "ma conscience à moi" ou autre conscience de celle du "moi-je" ?Etc.

Quelle est ma prière la plus fréquente : voir Dieu sans mourir ou voir la fin de "La Crise" ?

 

Enfin, -au final-, Alan Watts nous dit que la seule "modification" serait d'accepter que cette partie de "moi" qui voudrait changer son "moi" ou "le monde" est précisément celle aurait besoin d'être "modifiée" en Joyeuse Acceptation & Cosmologie de ce qui Est, de ce qui est là, tout de suite, ou "ici et maintenant" selon la formule habituelle. Mais, là aussi, tout change spontanément, et Watts était d'accord avec Aldous Huxley selon qui "toute formule verbale peut devenir, pour celui qui la prend trop au sérieux et l'adore avec idolâtrie comme si elle était la réalité symbolisée par les mots, un obstacle sur la voie de l'expérience immédiate."

 

Qui lit cette présente note, -celle-ci devant ses yeux-, a la possibilité de saisir "Alan Watts" dans un moteur de recherche ; il peut être sûr de trouver opinion à son goût, mais doit savoir bien sûr aussi que la saveur du taoïsme chan/zen s'expérimente et ne se "pense" pas.

La "carte n'est pas le territoire", O.K ?.

Et, les panneaux indicateurs servent à quoi, sinon à marcher, à prendre la route - peu importe laquelle du reste...

 

Laozi, et bien d'autres vieux taoïstes l'avaient admis : Le Tao (dit) Tao n'est pas Le Tao. Le Nom (que l'on verbalise) du Nom n'est pas (la chose du) vrai Nom.

道 可 道 非 常 道
名 可 名 非 常 名

dit-on en chinois et lire les différents rendus en langues indo-européennes de ces deux vers sont sans fin.

La toute dernière phrase de La philosophie du Tao (Ed. du Rocher), Alan Watts nous dit : "A force de croquer des menus, nous mourrons de faim".

Contre-Note : Apophatique Générale, oui! Généralisable, non!
J'ai rédigé ma note alors que les journaux sont emplis de "catastrophes naturelles".
Il n'y a aucun apophatisme ou théologie négative à nourrir là dedans.
Les ouragans, les inondations, les glissements de terrain -la Mort- participent d'une Joyeuse Cosmologie.
Rien à voir avec les promoteurs irresponsables ou franchement criminels, les déshérités qui s'installent là où ils peuvent ou ceux qui meurent de faim parce que résidant en dehors d'une zone économiquement rentable!
Pour prendre un exemple où -par exception- l'attitude japonaise se confond avec le pur esprit (un tant soit peu) Zen : Les tremblements de Terre y sont admis dans leur souveraine et terrible somptuosité naturelle ; mais les hommes y ont inventé et respecté des "normes parasismiques" particulièrement efficaces...
Une distinction sémantique serait à mettre en place entre "dégâts catastrophiques faits à la nature" (dont éventuellement l'homme est lui aussi victime, en ce qu'il fait parti de la nature) et "catastrophes naturelles". Un météore venant frapper la planète Terre, une irruptionn volcanique imprévisible, un raz de marée inhabituel, etc. sont des "catastrophes naturelles" ; pas Tchernobyl ou Three Miles Island, les marées noires ou les poisons d'une certaine alimentationindustrielle....


 

 

7 septembre 2009

Introduction Générale

    Son oeuvre a connu un zone d’ombre, un purgatoire d’écrivain à l’exception de Bouddhisme zen, régulièrement réédité depuis 1960. La plupart de ses réflexions critiques, de ses études en philosophies comparées comme de ses présentations innovantes purent apparaître devenues sans objet : la Contre-Culture Américaine s’était fondue dans le mouvement New-Age, le Développement du Potentiel Humain et autres “néo-thérapies” ; les Églises Chrétiennes, semblât, s’étaient engagées dans une démarche oecuménique pleine de promesses, et assorti d’un renouveau liturgique très visible (Vatican II - 1962-1965) ; le Bouddhisme avait produit son effet de mode et le Zen était devenu un excellent argument publicitaire en divers domaines.
Force est aujourd’hui de constater que l’Église Romaine n’a pas beaucoup changé, que les “églises” bouddhiques sont loin d’être à l’abri des méfaits supposés ou avérés que l’on aurait voulu croire l’exclusivité du monothéisme occidental. Les préoccupations écologiques demeurent assez largement une fumisterie. En économie, les efforts dit de “développement durable” n’ont pas remédié à la détérioration des termes de l’échange économique entre pays riches et pays pauvres, ni aux guerres de prévention économique. En résumé, on avait un peu trop vite vendu la peau de l’ours...

Ses ouvrages conservent - à des titres divers(1) - toute leur importance, leur fraîcheur et leur actualité. Ils ne sont plus seulement des portes d’accès aux questions touchant les rapports Orient Occident ; ils sont des clefs pour la planétisation culturelle nécessaire au XXI°siècle. Alors que l’Inde et la Chine rappellent leur Puissance, Alan Watts peut nous aider à mieux nous comprendre “nous” afin de mieux les comprendre “eux”, et qu’à la mondialisation du commerce des marchandises terrestres corresponde un planétisation des esprits comme une bonne aperception de notre place humaine au sein de cette écologie planétaire. Et, face à l’American way of life en passe de devenir la World way of life, la critique qu’en fait Alan Watts et l’Art de vivre qu’il propose en devient d’une urgence dramatique en regard de ce terrible constat qu’une bonne moitié de l’humanité au moins en est exclue. “Plus les riches s’enrichissent et plus les pauvres s’appauvrissent” est un lieu commun qui a peu de chance de disparaître dans les prochaines décennies, cependant que les atteintes à l’environnement ne sauraient baisser de beaucoup. En résumé : outre que le “progrès” est loin d’être équitable et solidaire pour tous les humains de la planète Terre, il se révèle de plus en plus nocif pour ceux-là même à qui il était supposé bénéficier - et, sur ce point-là, “riches et pauvres” confondus.
Il est peut-être temps de préparer le retour des enfants-fleurs, leurs chants et leurs rires s’alternant au silence des méditants.
Il est également temps de bien voir que l’Orient et l’Occident ne se sont nullement rapprochés ; et que les valeurs orientales de portée pourtant universelle nous demeurent étrangères. Nous leur préférons ses folklores et ses fanfreluches - tant mentales que vestimentaires -quand ce n’est que nous considérons comme “si typiquement oriental” ce qui n’est en réalité qu’une résultante de l’empreinte de l’impérialisme colonial. Réciproquement, l’américanisation architecturale et routière de certaines villes et régions côtières de la Chine, ou la puissance économique de Singapour par exemple, ne constituent qu’une réalité d’abord journalistique. Mais, dans certains de ces “gratte-ciels”, et jusque dans les couloirs des états-majors militaires, diverses écoles “néo” néo-confucéennes(2) ou taoïstes prospèrent, avec l’accord du Pouvoir en place. Enfin, un point d’évidence n’est pas assez souligné, me semble-t-il : si certaines valeurs orientales sont universelles, elles sont également occidentales. Autrement dit, c’est dans l’approfondissement des racines de notre propre héritage que peut se comprendre celui d’Orient. Et, l’une de ces racines communes les plus fortes est terrienne, notre appartenance commune à une même planète en dépit de ses différences locales. Ces dernières tendent d’ailleurs à s’estomper sur tous les plans : faune et flore, épidemiologique aussi. L’import-export, tout au long du XX° Siècle, a été un processus d’accélération et de débordement de l’échange des seules valeurs marchandes. Nous importons exportons des bactéries, des plantes, des animaux, des humains autant que des idéologies ou des religions. Nous exportâmes, naguère, l’alcool chez les peaux-rouges américains, mais en importons désormais tous les dérivés du cannabis ou de l’opium. Nous eûmes jadis nos croisés chrétiens et nous découvrons aujourd’hui le djihad islamiste. L’Europe voulut évangéliser ou soviétiser le monde ; le Bouddhisme et l’Islam propagent désormais leurs divers messages au monde entier. Au plan général, ces questions ne peuvent plus rester l’apanage de cercles intellectuels plus ou moins restreints. Au plan local ou particulier, en chacun de nous, en chacun par rapport à son groupe, de son groupe par rapport à celui du voisin tout comme leurs relations différenciées à l’ensemble planétaire, ces questions sont appelées à devenir populaires. Populaire au sens où est entendue l’expression d’Astronomie Populaire. J’y  reviens dans un instant...

 

&

À définir le jour par absence de nuit, le Bouddha a bien défini le Bonheur par la “Cessation de la Souffrance”. Pourtant, de son Enseignement, comme des diverses doctrines bouddhistes, il est généralement retenu l’expression de “voies de libération”.

Selon ce Philosophe en liberté, la question de se changer soi-même tout comme celle de changer le monde est hors de propos, “irrelevent” comme disent les juristes anglo-saxons lors de procès. Car, si la folie des idéologies prétendant changer la vie n’est plus à démontrer, la part de chacun qui veut changer sa nature propre est également vaine et vouée à la faillite. “L’illumination, disait-il, c’est d’abord la liberté d’accepter le raté que l’on est… En dehors de cette acceptation, toute tentative de discipline morale ou spirituelle demeure le combat stérile d’un esprit scindé et de mauvaise foi.(3) ”

&

Alan Watts est le seul auteur (à succès) qui ait véritablement formulé les problèmes que posent les rapports Orient Occident, et ceux de cet œcuménisme total auquel il aspirait tellement - un oecuménisme s’incluant lui-même tout logiquement et naturellement dans une écologie globale.

Il était entré très tôt en contact avec la pensée orientale, tout en ayant une excellente formation théologique et philosophique. Et ensuite, pendant trois ans, il a pu se frotter directement au Zen, en vivant dans l’intimité du Vénérable Sokei-an Sasaki, fondateur du Zen Institute of America,   comme dans celle de sa propre belle-mère,
Ruth Fuller Sasaki -elle même spécialiste du Rinzai. 

Son oeuvre a connu une zone d’ombre, un purgatoire d’écrivain à l’exception de Bouddhisme zen, régulièrement re-édité depuis 1960. La plupart de ses réflexions critiques, de ses études en philosophies comparées comme de ses présentations innovantes purent apparaitre devenues sans objet : la Contre-CultureContre-Culture Américaine s’était fondue dans le mouvement New Age, le Développement du Potentiel Humain et autres “néo-thérapies” ; les Églises Chrétiennes, sembla-t-il, s’étaient engagées dans une démarche oecuménique pleine de promesses, et assorti d’un renouveau liturgique très visible (Vatican II - 1962-1965) ; le Bouddhisme avait produit son effet de mode et le Zen était devenu un excellent argument publicitaire en divers domaines. Mais, des maitres authentiques étaient venus d’Orient et avaient assuré une certaine (réelle) transmission, etc.
Force est aujourd’hui de constater que l’Église Romaine n’a pas beaucoup changé, que les “églises” bouddhiques sont loin d’être à l’abri des méfaits supposés ou avérés que l’on aurait voulu croire l’exclusivité du monothéisme occidental. Les préoccupations écologiques demeurent assez largement une fumisterie. En économie, les efforts dits de “développement durable” n’ont pas remédié à la détérioration des termes de l’échange économique entre pays riches et pays pauvres.

 

Avant de faire valoir ce que j’entends par “taoïsme écologique”, j’ai ainsi tenu à présenter quelques pièces du dossier de sa vie et de son oeuvre telles qu’il est actuellement permis de les relire et d’en faire bon usage.

La philosophie dont il sera question ici se voudrait donc le reflet populaire de cette Philosophia Perennis dont on pourrait peut-être dire qu’Alan Watts fut un animateur et bateleur, un shaman et grand prêtre californien - mais “populaire” au sens où Flammarion écrivit une Astronomie Populaire (1880) qui conserve toute sa valeur et sa fraicheur. Et qui, du reste, constitue une excellente base pour aborder et saisir le caractère révolutionnaire de “choses” comme la vulgarisation de la physique quantique. Comprendre l’utilité pratique de cette Tradition –et la diffuser dans la Culture du XXI° Siècle, en faire la divulgation plus que la vulgarisation -, c’est assimiler la “transversalité” de son oeuvre, d’une part au sens d’interdisciplinarité et d’autre part de translittération de concepts orientaux en Occident et de concepts occidentaux en Orient. Or, c’est bien la vulgarisation de cette “transversalité” qui représente l’intérêt majeur des réflexions d’Alan Watts. Peut-être est-il permis de faire un autre rapprochement entre l’Astronomie Populaire et une anthropologie philosophique qui deviendrait vraiment populaire : quand un astronome amateur et un savant regardent vers le ciel un phénomène quelconque, ils regardent dans la même direction. Observation à l’oeil nu, à la jumelle, avec une petite lunette ou avec un télescope géant, il peut y avoir une différence considérable de niveaux d’observation mais il y a le partage d’une même orientation vers un même objet de la recherche. Dans les diverses sciences humaines et les philosophies entre elles, l’homme de la rue et le spécialiste ne parlent jamais de la même chose. Et, personne ne parait savoir de quelle “planète”, ni de quel “humanité” il est question...

Alan ne fut pas seulement un “précurseur”. Même noyé en “génial précurseur”, cette appréciation est insuffisante à rendre compte de la démarche intérieure tout comme d’ailleurs de son message réel. C’est bien sûr affaire de gout, je n’apprécie pas beaucoup plus l’image de « jeteur de ponts » entre les traditions : après un brin de causette avec celui d’à côté ou d’en face, on revient sur les positions de sa propre rive. C’est même ce à quoi se réduit l’oecuménisme comme le dialogue interreligieux de ces dernières années (World Parliament of Religions, alias “World’s Religions Congres, et Unesco exceptés - dont on peut regretter que les travaux comme les actions sont bien loin d’être populaires(4) ).
La démarche que je voudrais faire valoir est sa volonté de populariser la Tradition et de le faire par des méthodes que l’on qualifie désormais, selon les angles de vue, de “complexes”, “transversales”, “comparatistes” ou “transdisciplinairestransdisciplinaires”. Il fut un précurseur dans la popularisation de divers thèmes liturgiques, de théologie mystique, de psychologie moderne, d’indologie ou de sinologie.Ses assertions gardent leur valeur, peuvent servir de « cours introductif » dans ces divers domaines, et chacun selon son inclinaison peut en tirer parti en allant plus loin dans sa pratique religieuse, psychothérapeutique, yoguique ou taoïste. Ce faisant, le message de la Tradition risque de se perdre au profit d’une abondance d’informations sur les formes d’enveloppe qu’il peut prendre. D’où la nécessité d’un retour à l’essentiel par l’accord minima sur l’usage d’une méditation sans “objet”...

A le dire en termes non techniques, le parcours d’Alan Watts pourrait s’exprimer ainsi : Chercher la Paix mondiale ne peut se faire sans la paix entre nations - la paix entre nations ne peut se faire sans compréhension bienveillante de sa propre culture - toute culture se pose par rapport à la nature et tout ce qui est « autre » que son « moi-je », à commencer par la culture de « l’autre » en tant qu’autre « moi-je » que le mien – moi et l’autre nous sommes en quête d’harmonie avec la nature et les autres vivants, donc de paix avec soi-même aussi bien qu’avec le monde. Et réciproquement. Ce refus de la « réciproque du vrai » est sans doute le plus grand obstacle épistémologique à la Paix intérieure comme à la Paix mondiale(5) .

Dit plus crument : si le Grand Tao est chinois, il ne saurait être universel ; s’il est universel, il ne saurait être chinois. L’étude de quelques concepts « taoïstes » n’a d’importance « populaire » qu’en ce qu’ils sont l’occasion de redécouvrir des réalités et des modes d’approche du Réel que l’Occident a oublié ou négligé depuis l’apparition du Monde dit “Moderne”.

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